Togo en Crise : Amron, EVALA et le Bras de Fer entre Artistes et Société

Le Togo traverse une période de tensions sociales et politiques, exacerbées par l’arrestation de l’artiste-rappeur Amron, connu pour ses prises de position critiques envers le pouvoir en place.

Cette interpellation, survenue le 26 mai 2025, a déclenché une vague d’indignation parmi le peuple togolais, qui réclame sa libération immédiate. Dans ce climat de troubles, la célébration de la fête traditionnelle EVALA, un événement culturel majeur dans la ville de Kara, a ravivé les tensions.

Des artistes togolais et internationaux ont été invités à cette fête, où le président du Conseil des ministres, Faure Essozimna Gnassingbé, était présent. Ce rapprochement entre certains artistes et le pouvoir a suscité la colère d’une partie de la population, qui y voit une trahison de la cause populaire. ifférentes parties prenantes.

Amron, de son vrai nom Tchala Essowè Narcisse, est un rappeur togolais originaire de Kara, connu pour son style de rap engagé et ses critiques virulentes contre la gouvernance du président Faure Gnassingbé.

Depuis plusieurs mois, l’artiste utilisait les réseaux sociaux pour dénoncer les abus de pouvoir, les injustices sociales et la mauvaise gestion des ressources du pays.

Le 26 mai 2025, il est arrêté à son domicile à Lomé par des gendarmes, dans des circonstances jugées arbitraires par la société civile et des organisations politiques comme la Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP) et l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC).

Selon plusieurs sources, cette interpellation serait liée à un appel lancé par Amron sur les réseaux sociaux pour une mobilisation ironique le jour de l’anniversaire de Faure Gnassingbé, le 6 juin 2025.

L’arrestation d’Amron a provoqué une onde de choc au Togo. Les réseaux sociaux se sont enflammés avec le hashtag #FreeAmron, devenant un cri de ralliement pour les défenseurs de la liberté d’expression.

La société civile, des partis d’opposition comme l’ANC et la DMP, ainsi que des figures publiques, ont dénoncé une tentative d’intimidation visant à museler les voix dissidentes.

La fille d’Amron, âgée de 14 ans, a publié une vidéo émouvante appelant à la libération de son père, renforçant l’élan de solidarité. Des manifestations ont éclaté les 5 et 6 juin 2025 à Lomé, malgré une forte répression policière, marquée par des gaz lacrymogènes et des arrestations.

La DMP a qualifié cette arrestation de « violation manifeste des droits fondamentaux », invoquant l’article 89 du Code de procédure pénale togolais, qui interdit les interpellations nocturnes sans mandat. L’ANC, de son côté, a comparé l’opération à un « kidnapping politique », soulignant un climat d’intimidation généralisée.

Le 21 juin 2025, Amron est libéré après près d’un mois de détention, dont une partie passée dans un hôpital psychiatrique à Zébé, à 50 km de Lomé. Son avocat, Me Célestin Kokou Agbogan, a indiqué qu’aucune procédure judiciaire n’avait été engagée contre lui, suggérant que l’arrestation était purement politique.

Cependant, une vidéo postée par Amron sur TikTok, dans laquelle il présentait ses excuses à Faure Gnassingbé, a soulevé des questions sur d’éventuelles pressions subies pendant sa détention.

La fête EVALA, célébrée chaque année à Kara, est un moment de rassemblement pour les fils et filles de cette région, dont est originaire le président Faure Gnassingbé. En 2025, l’événement a pris une tournure controversée en raison du contexte politique tendu.

Plusieurs membres du gouvernement et des invités de marque, y compris des artistes togolais et internationaux, ont participé à la fête, ce qui a été perçu par une partie de la population comme une provocation.

Pour beaucoup, il était inconcevable que des artistes, considérés comme les porte-parole du peuple, participent à un événement associé au pouvoir alors que la jeunesse togolaise luttait pour ses droits.

Des photos et vidéos montrant des artistes en compagnie de Faure Gnassingbé à son domicile à Kara ont circulé sur les réseaux sociaux, attisant la colère des internautes. Ces images, où l’on voit le président discuter avec des stars de la musique togolaise, ont été interprétées comme un signe d’allégeance au pouvoir.

Pour de nombreux Togolais, ces artistes, censés incarner la voix du peuple, auraient cédé à la « politique du ventre », un terme utilisé pour dénoncer ceux qui se rapprochent du pouvoir pour des avantages financiers.

Cette perception a conduit à des appels au boycott des concerts des artistes concernés. Les internautes ont exprimé leur frustration, estimant que ces figures publiques avaient trahi la cause populaire en échange d’« enveloppes » ou de faveurs.

Face à la vague de critiques, certains artistes ont tenté de se justifier. Sethlo, une figure montante de la musique togolaise, a répondu aux accusations en déclarant :

« Chacun a sa stratégie pour la lutte, pourquoi voudriez-vous qu’on dénonce de la même manière ? Notre objectif dans cette rencontre était de négocier de la plus belle manière possible pour la restauration du réseau internet et bien d’autres choses. »

Cette sortie a toutefois été mal reçue par une partie du public, qui y a vu une tentative de minimiser leur proximité avec le pouvoir.

Pour beaucoup, cette justification sonnait comme une provocation, renforçant l’idée que les artistes privilégiaient leurs intérêts personnels au détriment de la lutte collective.

Le rôle des artistes dans les luttes sociales est un sujet sensible au Togo, où la musique a souvent été un vecteur d’expression politique. Des figures comme Amron ont utilisé leur art pour dénoncer les injustices, ce qui leur a valu un large soutien populaire.

En revanche, les artistes qui participent à des événements associés au pouvoir risquent de perdre la confiance de leur public.

Cette fracture illustre un dilemme pour les artistes togolais : comment concilier leur rôle de porte-parole du peuple avec les pressions économiques et politiques ?

L’arrestation d’Amron s’inscrit dans un contexte plus large de restrictions de la liberté d’expression au Togo. Selon Amnesty International, les droits humains, y compris la liberté d’expression, sont régulièrement bafoués dans le pays. Le cas d’Honoré Sitsopé Sokpor, alias Affectio, un poète détenu depuis janvier 2025 pour un poème jugé subversif, illustre cette répression continue. La constitution togolaise garantit pourtant la liberté d’expression (article 25), mais cette garantie reste théorique pour beaucoup de citoyens.

Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans ce conflit médiatique. Ils ont permis de relayer l’arrestation d’Amron, d’organiser des campagnes comme #FreeAmron, et de dénoncer la participation des artistes à la fête EVALA.

Cependant, la restriction de l’accès à Internet, une pratique récurrente au Togo lors des périodes de tension, limite la capacité des citoyens à s’organiser et à faire entendre leur voix. La justification de Sethlo, qui évoque une négociation pour la restauration d’Internet, reflète l’importance de cet enjeu dans la lutte pour la liberté d’expression.

La Conférence des Évêques du Togo (CET) a lancé un appel au dialogue le 26 mai 2025, exhortant les autorités à écouter les frustrations du peuple pour éviter une « déflagration imprévisible ».

Cet appel, relayé par des partis d’opposition comme l’ANC, souligne la nécessité d’un dialogue inclusif pour apaiser les tensions. Cependant, le silence des autorités face aux multiples demandes de libération des prisonniers politiques et de respect des droits fondamentaux laisse peu d’espoir à court terme.

Le conflit médiatique autour de l’arrestation d’Amron et de la fête EVALA met en lumière les tensions profondes entre le peuple togolais, ses artistes et le pouvoir en place.

Alors que les citoyens exigent des artistes qu’ils incarnent leur lutte, ces derniers se retrouvent pris entre leur rôle de porte-parole et les pressions économiques et politiques.

La libération d’Amron, bien qu’une victoire, n’efface pas les défis persistants en matière de liberté d’expression et de gouvernance au Togo. Dans ce contexte, les réseaux sociaux restent un outil puissant pour mobiliser et dénoncer, mais aussi un terrain de fractures entre artistes et public.

L’avenir dira si ce conflit mènera à un dialogue constructif ou à une escalade des tensions.

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